De ce qui file - 2

Publié le par Lène

Du sang qui étrangle - Moonlight sonata

J
e pensais me mettre au boulot, mais... C'est la faute à Beethoven. Bon. A lire avec la musique, ça va de soi. Même principe que pour le premier De ce qui file, j'ai laissé filer. Encore une fois, vous pouvez en faire autant si vous avez envie de tenter l'expérience. Amen.

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Sauter. Sauter. Sauter et les envoyer tous se faire foutre. Je n'ai pas besoin d’eux, je n’ai besoin de rien, pas même de moi. Il me bouffe, il m’explose les entrailles ce petit être qui grandit à l’intérieur de moi. Que veux-tu que je donne à qui que ce soit ? J'ai pas de force moi ; j’ai rien. Je n’ai que des doigts tout secs, et des rides sur le coin des lèvres. Il ne m’avait pas dit que ça serait aussi difficile. Il ne m’avait rien dit sur la vie, il aurait dû. Tomber de haut. Tomber de haut. Lorsque j’avais son sang sur la nuque, je ne pensais plus à tout ça. Sa chaleur me décomposait l’esprit. J’étais bien dans mon horreur. Je n’ai pas regardé son visage, mais j’imaginais très bien ses yeux sortis de leurs orbites, et un liquide noirâtre sortir de sa bouche. Son amertume s’est déversée sur moi. Je ne pourrai pas oublier, je ne peux déjà plus penser. Il n’y a plus rien s’il n’est plus là. Ce putain de flingue. Si je l’avais vu, je t’aurais protégé mon amour. Je t’aurais tout donné. Je m’en fous. Je ne veux plus rien sans toi. Ton sang m’a empoisonnée. La balle aurait dû te traverser jusqu’à moi ; je sais que mon cœur aurait été son parfait coffret.
Je suis aveugle désormais, bien que je parvienne encore à retrouver son regard assassin, aussi vide que son cœur, mais tenant ta vie entre ses doigts. Je ne vois plus que l’injure qu’il m’a faite en explosant ma vie d’un seul mouvement de phalange. Qu’il crève, qu’il implose, qu’il y en ait partout, qu’il y en ait jusque sur les cheveux de ses enfants... La rue est déserte et moi je me dissous. Le sol ne semble ne tenir que dans l’unique but de me ramasser, d’absorber mon sang et de s’en faire un manteau. Je m’en fous. J’ai beau l’avoir nettoyé et nettoyé encore, je sens encore ton sang sur mon cou qui se déverse. Je sens sa chaleur et ses adieux ; ça me brûle, c’en est insupportable. Mes doigts tremblent et mes ongles ne savent plus déchiqueter ce qu’il me reste de chair. Je n’arrive même plus à entrevoir les traits de ton doux visage. Je ne vois plus que ton sang. Tu n’es plus qu’un liquide rougeâtre, collant, obsédant. Cette putain de balle. J’aimerais tant me débarrasser de tout mon être, gerber chaque goutte de mon sang cette nuit, je veux tout rejeter. Quel est ce monstre qui me bouffe ? Comment quelque chose pourrait-il naître en moi à l’heure même où tout est mort ? Comment cette pourriture infâme aurait-elle pu me donner une miette de vie ? Pourquoi ça n’est pas mon amour qui grandit dans mon ventre, pourquoi c’est cet avatar de haine, ce fils de meurtrier infâme ? Gamin. Gamin t’as rien à foutre là. Ta mère crève de l’absence, ta mère crève du sang qui l’étrangle. Ta mère n’a plus d’amour. Il est resté dans le corps là-bas, dans ce corps devenu verdâtre. Il est là. Et ton père ? Ton père gambade, son flingue fumant à jamais dans la poche de son blouson gris. Ton père a tué l’espoir, il a jeté la vie dans une mer de perles brisées, de cadavres d’enfants broyés par l’amertume. Un « père » ce fumier ? C’est un mot bien trop doux. Il faut un mot qui casse, qui brise, qui blesse les entrailles, un mot qui fait couler le sang.
Et la beauté ?  la beauté est devenue verdâtre. C’est impossible qu’un cadavre puant soit mon amour. Un ange tel que lui ne peut pas devenir un détritus. Le temps n’a pas ce droit. La mort non plus. Rien ne le peut. Alors quel est ce corps pourri dans cette ruelle ? A qui appartient-il ? Le souvenir de ce sang sur ma gorge, c’est tout ce qui peut véritablement être lui. A jamais lui, à jamais moi. C’est dit. Je veux son âme. Ces bras déchets, ces jambes ordures, ça n’est pas lui. Je veux son âme. Il me la faut. Je veux l’empoigner et l’embrasser à en crever. Je vais sauter. Je vais le rejoindre. Je sais qu’il est quelque part. S’il n’est nulle part, alors c’est là que j’irai. J’aurais aimé avoir la force de te venger amour, j’aurais aimé pouvoir le faire, mais cette chose qui grouille sous mon nombril est trop ignoble pour que je puisse ne serait ce qu’imaginer le faire. Le bâtard court toujours bébé, il courra encore longtemps, mais il n’aura pas de fils. Il n’aura pas ce fils, et ça sera déjà ça. Toujours ça. Mon corps pourrira dans le tien, les lambeaux de notre peau se mélangeront jusqu’à ne former qu’une vaste flaque bleuâtre. Je t’aimerai ; ensemble, nous ferons comme si rien n’avait jamais existé.


Publié dans De la plume au clavier

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